• Nov 26, 2025

Des jeux pour un cœur apaisé et la santé mentale des jeunes

*Nouvelles perspectives en neurosciences* Points clés : • Les jeux basés sur le biofeedback cardiaque (fréquence cardiaque et variabilité de la fréquence cardiaque) peuvent réduire de manière significative l’anxiété, la dépression, l’agressivité et la détresse générale chez les enfants et les adolescents, en particulier dans les échantillons cliniques. • Des protocoles courts (généralement 5 à 8 séances) intégrés à des jeux numériques attrayants semblent faisables en milieu hospitalier, scolaire, en résidence et en communauté, ce qui laisse entrevoir un fort potentiel pour des interventions précoces à grande échelle. • Pour les cliniciens utilisant le neurofeedback, ces jeux de biofeedback peuvent servir de « terrains de jeu physiologiques » peu coûteux et accessibles qui préparent les jeunes à un travail plus poussé en ÉEG (EEG, electroencephalography) et prolongent la pratique de l’autorégulation à la maison et à l’école.

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Ce billet explore une nouvelle revue systématique portant sur les jeux numériques basés sur le biofeedback et le bien-être chez l’enfant, qui synthétise 16 études empiriques utilisant des outils ludiques avec capteurs pour soutenir la santé mentale des jeunes.

Le contexte est préoccupant : à l’échelle mondiale, environ 14 à 20 % des adolescent·e·s présentent un trouble de santé mentale, et beaucoup ne reçoivent jamais de soins adéquats en raison du coût, de l’accessibilité, de la stigmatisation et du manque de ressources humaines. Les modèles traditionnels centrés sur une psychothérapie individuelle hebdomadaire ne parviennent tout simplement pas à répondre à la demande actuelle. Les outils de santé numérique se sont engouffrés dans cette brèche et, parmi eux, les jeux basés sur le biofeedback occupent une place particulière : ils sont aussi engageants que les jeux commerciaux, mais ancrés dans la psychophysiologie.

En termes généraux, le biofeedback est une méthode d’autorégulation dans laquelle des capteurs enregistrent des signaux corporels – par exemple la fréquence cardiaque, la variabilité de la fréquence cardiaque (HRV, pour heart rate variability), la respiration ou la conductance cutanée – et les traduisent en signaux visuels ou auditifs que la personne peut apprendre à moduler. Le neurofeedback applique le même principe à l’activité cérébrale, généralement mesurée par ÉEG (EEG, electroencephalography). Dans les deux cas, le corps devient la « manette » : en se relaxant, en se concentrant ou en respirant différemment, l’enfant modifie littéralement le jeu.

La revue que nous examinons se concentre délibérément sur un biofeedback accessible et facilement diffusable – en particulier les mesures cardiaques – intégré dans des jeux numériques auxquels les enfants peuvent jouer sur ordinateur, tablette, systèmes de réalité virtuelle ou appareils mobiles. Les questions centrales sont les suivantes : quels jeux existent ? Quels signaux physiologiques entraînent-ils ? Quels domaines de la santé mentale sont concernés ? Et peut-on faire suffisamment confiance à ces résultats pour guider la pratique en clinique, à l’école et à la maison ?


Méthodes

Sélection des études

Comme il s’agit d’une revue systématique et non d’un essai isolé, les « méthodes » concernent la manière dont les auteur·rice·s ont recherché, filtré et interprété les données – et quels types de jeux de biofeedback ont été retenus.

Les auteur·rice·s ont effectué une recherche systématique dans quatre grandes bases de données (CINAHL, PsycInfo, PubMed Central et Web of Science) depuis leur création jusqu’en mai 2023. Les termes de recherche étaient volontairement larges : termes liés au biofeedback (par exemple, biofeedback, retour visuel, dispositifs portables), termes liés au numérique/aux jeux (par exemple, jeux vidéo, gamification, réalité virtuelle) et termes liés à la jeunesse (par exemple, enfant, adolescent, préscolaire, jeune).

Pour être incluse, une étude devait :

  • être évaluée par des pairs et empirique ;

  • utiliser un mécanisme de biofeedback basé sur une mesure accessible d’une fonction corporelle (par exemple, fréquence cardiaque, HRV, respiration, conductance cutanée) ;

  • intégrer ce biofeedback dans une expérience numérique et gamifiée (par exemple, jeu sur ordinateur, jeu mobile, jeu en réalité virtuelle) ;

  • cibler un domaine de santé mentale ou de bien-être (par exemple, anxiété, colère, comportements externalisés, régulation émotionnelle, fonctionnement général) ;

  • se concentrer sur un échantillon pédiatrique (âge moyen ≤ 17 ans ; de jeunes adultes pouvaient être inclus s’ils ne faisaient pas remonter l’âge moyen au-delà de cette limite).

Point crucial : les auteur·rice·s ont exclu les interventions en neurofeedback/ÉEG, au motif que ces systèmes nécessitent généralement du matériel plus coûteux et des technicien·ne·s formé·e·s et sont donc moins facilement diffusables dans les contextes à faibles ressources. Cette décision a des implications pour l’interprétation de la revue en pratique de neurofeedback : l’accent est mis sur la physiologie périphérique, en particulier le cœur, et non directement sur les ondes cérébrales.

À partir de 762 articles initialement identifiés, 604 études uniques ont été examinées après élimination des doublons. Un processus PRISMA en trois étapes (titres, puis résumés, puis textes intégraux) a progressivement écarté les études qui n’étaient pas en anglais, portaient sur des troubles somatiques ou urologiques, n’utilisaient pas de biofeedback, n’incluaient pas de composante ludique, concernaient des adultes ou n’étaient pas empiriques. Au final, 16 études ont répondu à tous les critères d’inclusion.

Participants et contextes

Dans les 16 études, les tailles d’échantillon allaient de 8 à 1 045 participant·e·s, avec un âge moyen généralement compris entre 9 et 17 ans. La plupart des échantillons étaient mixtes sur le plan du genre, même si plusieurs études rapportaient très peu d’informations sur la race et l’ethnicité, ce qui constitue une limite importante lorsqu’on discute d’équité et de généralisabilité.

Les contextes d’intervention étaient variés :

  • Programmes hospitaliers (psychiatrie de l’enfant, en hospitalisation ou en ambulatoire).

  • Interventions en milieu scolaire, dans des classes ordinaires.

  • Milieux de placement ou de résidence pour jeunes avec besoins complexes.

  • Programmes universitaires et communautaires.

  • Une grande étude observationnelle du jeu à domicile avec un système commercial.

Types de biofeedback et de jeux

Dix jeux numériques distincts apparaissaient dans les 16 études. La majorité utilisaient du biofeedback cardiaque (fréquence cardiaque ou HRV), parfois combiné à la respiration ou à la conductance cutanée. Quelques études utilisaient uniquement du biofeedback respiratoire.

Parmi les exemples clés :

  • Wild Divine (ordinateur) : les enfants portent des capteurs au doigt ou au lobe de l’oreille ; des fréquences cardiaques et respiratoires calmes et régulières leur permettent de progresser dans un univers fantastique et de réaliser des tâches comme construire un pont.

  • Dojo (ordinateur) : biofeedback sur la HRV intégré dans un jeu de réduction de l’anxiété ; les adolescent·e·s apprennent la respiration profonde, la relaxation musculaire progressive, l’imagerie positive et des stratégies cognitives, puis les mettent en pratique dans des scénarios de plus en plus difficiles dans le jeu.

  • RAGE-Control (ordinateur) : conçu comme module complémentaire à une thérapie de gestion de la colère ; la fréquence cardiaque de l’enfant détermine si son vaisseau spatial tire des tirs « réels » ou à blanc lors d’attaques d’aliens rapides.

  • Mightier (tablette) : évolution commerciale de RAGE-Control ; les enfants portent un brassard cardio tout en jouant à différents mini-jeux. Lorsque la fréquence cardiaque s’élève d’environ 7 battements au-dessus de la ligne de base, le jeu introduit un handicap visuel (par exemple, de la fumée qui masque les cibles) qui ne peut être levé qu’en se calmant.

  • emWave (ordinateur) : feedback sur la fréquence cardiaque, la HRV et la respiration, associé à un programme structuré d’apprentissage de la respiration rythmée et de la conscience émotionnelle, avec des mini-jeux liés à la cohérence physiologique.

  • DEEP et i-Care (réalité virtuelle) : environnements immersifs dans lesquels la respiration ou les signaux cardiovasculaires contrôlent le déplacement à travers des univers sous-marins ou virtuels apaisants.

Les formats de séance étaient généralement courts et limités dans le temps par rapport aux protocoles classiques de neurofeedback :

  • 5 séances d’environ 30 minutes (par exemple, RAGE-Control dans la gestion de la colère).

  • 6 séances de 30 à 60 minutes (par exemple, Dojo à l’école ; Mightier en camp communautaire).

  • 8 séances de 30 minutes (par exemple, Dojo ou Wild Divine en clinique).

  • De courtes séances de 10 à 15 minutes répétées sur plusieurs semaines (par exemple, emWave en milieu scolaire).

La plupart des interventions étaient dispensées en petit groupe ou en individuel, sous la supervision de professionnel·le·s ou d’assistant·e·s de recherche, mais une grande étude observationnelle a examiné l’utilisation autonome de Mightier à domicile.

Plans d’étude et qualité méthodologique

Parmi les 16 études incluses :

  • 5 étaient des essais contrôlés randomisés ;

  • 3 étaient des essais contrôlés non randomisés ;

  • les autres étaient des études pilotes, de faisabilité, des études de cas ou observationnelles.

Sept essais contrôlés présentaient des groupes équivalents au départ et ont été considérés comme fournissant des résultats généralisables. Toutes utilisaient une forme de biofeedback cardiaque (fréquence cardiaque ou HRV), souvent via les jeux Wild Divine, Dojo, RAGE-Control, Mightier ou emWave.

Globalement, la qualité du rapport méthodologique était jugée acceptable : objectifs et hypothèses clairs, évaluation du rapport bénéfice–risque documentée, et pas de signes majeurs de biais liés à la randomisation, aux données manquantes ou au choix des résultats rapportés. Cela dit, la plupart des essais avaient des échantillons relativement petits et un suivi à court terme.


Résultats

Changements au niveau des symptômes internalisés

Les symptômes internalisés étaient les cibles les plus fréquentes. Dans l’ensemble des 16 études, plusieurs indicateurs d’anxiété, de détresse et d’humeur ont été rapportés, et sept mesures d’anxiété sur huit montraient une amélioration statistiquement significative.

Dans le sous-groupe des sept essais généralisables, trois études ciblaient spécifiquement l’anxiété :

  • Des enfants présentant une anxiété élevée ayant complété huit séances de Wild Divine montraient une anxiété (et une dépression) significativement plus faible que les groupes témoins en post-traitement, avec de grands effets.

  • Des jeunes en résidence ayant bénéficié de huit séances de 30 minutes de Dojo en plus du traitement habituel présentaient de fortes diminutions de l’anxiété, selon leurs auto-questionnaires et les évaluations de leurs référent·e·s.

  • Dans un essai en milieu scolaire comparant Dojo à un jeu sans biofeedback, l’anxiété diminuait dans les deux groupes au fil des six séances, mais le groupe Dojo montrait une baisse plus marquée des symptômes anxieux désignés comme les plus problématiques par chaque élève.

Des indicateurs liés au stress s’amélioraient également dans certains contextes. Par exemple, dans une étude en camp communautaire, les parents rapportaient une diminution de leur propre stress après que leurs enfants aient joué à Mightier ; et un essai de faisabilité d’un jeu familial (CALMS) montrait des améliorations modestes à moyennes du stress perçu et du fonctionnement social.

Changements au niveau des comportements externalisés

Les domaines externalisés – agressivité, opposition, comportements perturbateurs et comportements hors tâche – répondaient eux aussi aux jeux de biofeedback dans plusieurs essais.

Parmi les études généralisables :

  • L’ajout de RAGE-Control à une thérapie de gestion de la colère produisait des diminutions plus importantes de l’agressivité ouverte et des comportements oppositionnels qu’une thérapie de gestion de la colère seule, avec des effets de taille moyenne à grande.

  • En milieu scolaire, l’utilisation d’emWave combinée à un programme hebdomadaire de pleine conscience réduisait les comportements hors tâche (agitation, bavardage, regard détourné) avec un effet important après une douzaine de courtes séances.

  • En résidence, les jeunes qui jouaient à Dojo en plus du traitement habituel déclaraient moins de comportements externalisés ; les évaluations des référent·e·s montraient des changements plus modestes mais toujours favorables.

Une étude contrôlée exclue de la synthèse principale (en raison de différences entre groupes au départ) rapportait également de fortes améliorations des symptômes de TDAH lorsque des jeux de type Wild Divine étaient ajoutés pour des enfants avec TDAH, ce qui suggère un potentiel pour la régulation attentionnelle.

Régulation émotionnelle et fonctionnement général

Deux études évaluaient directement la régulation émotionnelle comme compétence. Dans un essai en camp communautaire, les parents d’enfants ayant joué à Mightier en parallèle de groupes d’apprentissage socio-émotionnel rapportaient une nette amélioration de la régulation émotionnelle par rapport à un groupe témoin. Dans un grand échantillon observationnel de plus de 1 000 utilisateur·rice·s jouant à Mightier à domicile, des gains modestes mais significatifs en régulation émotionnelle apparaissaient au fil du temps.

Le fonctionnement global et la psychopathologie générale s’amélioraient également dans plusieurs essais :

  • La sévérité globale des troubles, évaluée par les clinicien·ne·s, diminuait plus fortement lorsque RAGE-Control était ajouté à une formation à la gestion de la colère.

  • Le fonctionnement social s’améliorait dans un jeu de biofeedback familial où les parents et les enfants devaient co-réguler leurs fréquences cardiaques pour réussir à progresser ensemble dans le jeu.

Ce qui ne change pas – ou pas assez

Tous les indicateurs ne se sont pas améliorés de façon spectaculaire. Dans certains échantillons « universels » (où les enfants n’étaient pas sélectionnés sur la base de symptômes élevés), les jeux de biofeedback n’apportaient que peu de différence, voire aucune, par rapport à des jeux témoins. C’est typique des interventions préventives : les effets ont tendance à être plus importants chez les groupes cliniquement plus symptomatiques.

On observait également des divergences entre les évaluateur·rice·s. Par exemple, les comportements externalisés rapportés par les jeunes eux-mêmes semblaient parfois s’améliorer davantage que ceux rapportés par les enseignant·e·s ou les référent·e·s, ce qui rappelle à quel point le contexte et l’observateur influencent notre perception de « ce qui a changé ».

Enfin, le faible nombre d’essais randomisés de haute qualité, la courte durée d’exposition (souvent quelques séances seulement) et les suivis limités dans le temps imposent de rester prudents : les résultats sont prometteurs, mais encore préliminaires.


Discussion

Dans l’ensemble, cette revue suggère que les jeux basés sur le biofeedback cardiaque sont bien plus que des gadgets : ils peuvent modifier de manière significative le fonctionnement émotionnel et comportemental des enfants et des adolescent·e·s. Les effets les plus nets apparaissent chez les jeunes qui présentent au départ des symptômes élevés d’anxiété, de colère ou de comportements externalisés, et dans des contextes où les jeux sont structurés, répétés et intégrés à une forme de psychoéducation ou de thérapie.

Traduire ces résultats en soutien concret

Sur le plan pratique, ces interventions ne fonctionnent que rarement comme une « solution miracle ». Dans les études les plus solides, des jeux comme Dojo, RAGE-Control, Mightier et emWave sont intégrés à des programmes plus larges :

  • À l’hôpital ou en résidence, les jeux sont insérés dans des groupes de gestion de la colère, des approches de type psychothérapie institutionnelle ou des soins psychiatriques standards.

  • À l’école, ils complètent des programmes d’apprentissage socio-émotionnel ou de pleine conscience.

  • En communauté ou à la maison, ils sont présentés aux familles comme des outils pour pratiquer le calme ensemble.

On retrouve là un motif récurrent du biofeedback et du neurofeedback : la technologie amplifie les apprentissages lorsqu’elle est insérée dans un contexte relationnel et éducatif soutenant. Les capteurs ne sont pas la thérapie ; ils servent de multiplicateurs pour l’attention, la motivation et le retour d’information.

Pourquoi ces jeux sont logiques sur le plan neurodéveloppemental

Pour les jeunes, en particulier ceux qui ont du mal à rester assis en thérapie traditionnelle, ces systèmes répondent à plusieurs défis neurodéveloppementaux à la fois.

D’abord, ils rendent visibles les états internes. Les battements de cœur qui s’accélèrent avec la colère ou l’anxiété se matérialisent à l’écran : un vaisseau spatial qui tire mal, un brouillard qui masque les cibles, un dragon qui ralentit lorsque l’enfant se crispe. Cela rend concrètes des notions abstraites comme la « régulation émotionnelle » ou la « fenêtre de tolérance ».

Ensuite, ils fournissent un feedback immédiat et contingent – exactement le type de signal d’apprentissage que le système nerveux sait exploiter. Lorsqu’un enfant expérimente une respiration plus lente, il ou elle voit le jeu devenir plus facile en quelques secondes. Répétée, cette expérience renforce un sentiment d’efficacité corporelle.

Enfin, ils mobilisent la motivation intrinsèque. Rares sont les enfants qui se lèvent le matin impatients de remplir une nouvelle fiche d’exercices sur les habiletés de coping. En revanche, « passer le niveau » ou « piloter le vaisseau sans le faire surchauffer » s’appuie sur la curiosité et le jeu, deux moteurs puissants de neuroplasticité.

Avantages par rapport à d’autres approches – et complémentarités

Par rapport à une psychoéducation classique ou à un simple entraînement à la relaxation, les jeux de biofeedback offrent un apprentissage plus riche et multisensoriel. Ils semblent particulièrement adaptés :

  • aux enfants pour qui les interventions très verbales sont difficiles ;

  • aux jeunes réticent·e·s à l’idée de « thérapie » mais ouvert·e·s aux « jeux » ;

  • aux contextes où le temps de thérapie en face à face est limité, comme les écoles ou les cliniques surchargées.

La revue met aussi en évidence plusieurs usages stratégiques possibles :

  • Comme outil préventif universel à l’école, en complément de programmes socio-émotionnels existants, pour normaliser l’autorégulation physiologique et potentiellement réduire des inégalités d’accès liées au statut socio-économique.

  • Comme soutien intermédiaire pour les familles sur liste d’attente, en leur offrant quelque chose d’actif et orienté vers les compétences à faire en attendant un traitement plus formel.

  • Comme adjuvant à des thérapies validées (thérapie cognitivo-comportementale, ou TCC / CBT ; programmes de guidance parentale ; thérapies centrées sur le trauma), surtout lorsque la régulation émotionnelle et la gestion de la colère sont au cœur du travail.

Il est important de souligner que ces interventions ne sont pas en concurrence avec le neurofeedback. Au contraire, elles peuvent servir de première étape – introduisant l’idée que la physiologie est entraînable – avant de passer à un travail plus spécifique sur l’activité cérébrale via l’entrainement en neurofeedback.

Limites et questions d’équité

Les auteur·rice·s restent prudemment critiques face aux limites des données disponibles. On ne compte que sept essais avec de bons groupes contrôles ; les échantillons sont modestes ; les suivis sont courts ; et très peu d’études rapportent les caractéristiques ethnoculturelles de manière détaillée.

Cela ouvre plusieurs questions :

  • Ces jeux fonctionnent-ils de la même manière à travers les cultures, les langues et les statuts socio-économiques ?

  • Comment les familles avec un accès limité à la technologie ou une littératie numérique plus faible s’en sortent-elles ?

  • Que se passe-t-il lorsque l’effet de nouveauté disparaît – les gains se maintiennent-ils ?

De grandes enquêtes indiquent que l’accès aux appareils numériques de base et à Internet est aujourd’hui répandu chez la plupart des jeunes, y compris dans les milieux à faible revenu. Mais « avoir un appareil » ne signifie pas disposer d’un espace calme, de temps disponible et de soutien parental pour s’engager dans un jeu thérapeutique. Les travaux futurs devront examiner plus précisément le rôle de ces facteurs sociaux et environnementaux.

Lien avec la recherche plus large sur le biofeedback et l’autorégulation

Au-delà de cette revue, les méta-analyses sur le biofeedback de la HRV montrent de manière répétée des réductions du stress et de l’anxiété chez l’adulte, et des données émergentes chez les jeunes. Les modèles d’apprentissage expérientiel soulignent que les pratiques incarnées, basées sur l’essai-erreur – exactement ce que fournissent ces jeux – consolident les nouvelles compétences plus solidement que la seule transmission d’informations.

En termes simples : lorsque les enfants font, encore et encore, l’expérience « je peux changer mon corps, et cela change ce que je ressens », ils ne se contentent pas de mémoriser des stratégies de coping ; ils répètent un nouveau sentiment d’agentivité.

Pour les praticien·ne·s en neurofeedback, le message est clair. Les jeux de biofeedback cardiaque ne sont pas des rivaux du travail en ÉEG, mais des alliés. Ils occupent un autre étage dans « l’architecture de l’autorégulation » : la respiration, le rythme cardiaque et l’interoception à un niveau ; le timing cortical et la dynamique des réseaux à un autre. Utilisés ensemble, ils peuvent constituer un environnement d’entrainement intégré où cœur, respiration et cerveau deviennent les trois volets d’un même curriculum de régulation.


La perspective de Brendan

En pratique clinique de neurofeedback, j’aime bien imaginer l’entrainement physiologique comme trois anneaux qui se chevauchent : le corps, le souffle et le cœur et le cerveau. Cette revue se situe clairement dans l’anneau central : un travail centré sur le cœur, livré via des écosystèmes de jeu. Pour les praticien·ne·s habitué·e·s à travailler surtout avec l’ÉEG, plusieurs pistes concrètes se dessinent pour intégrer ces résultats au quotidien.

Utiliser les jeux de biofeedback comme rampe d’accès au neurofeedback ÉEG

Pour beaucoup d’enfants, en particulier ceux qui sont anxieux, oppositionnels ou simplement passionnés de jeux vidéo, commencer directement par un bonnet d’ÉEG, du gel conducteur et une chaise silencieuse est un gros défi. Les jeux de biofeedback cardiaque offrent une entrée plus douce.

Un déroulé typique pourrait ressembler à ceci :

  1. Séances 1–2 : découverte physiologique. Introduire un jeu basé sur la fréquence cardiaque (par exemple, des systèmes du type Mightier ou des équivalents en cabinet) pendant que vous observez discrètement. L’objectif n’est pas encore de « réparer les symptômes », mais d’explorer : « Regarde comment ton vaisseau change quand ta respiration change. »

  2. Séances 3–4 : structurer la compétence. Une fois que l’enfant a découvert la règle de base (« une respiration plus lente et régulière facilite le jeu »), on commence à la formaliser – nommer la compétence (par exemple, « respiration fluide », « souffle de dragon »), la relier à des moments de colère ou d’anxiété, et glisser de courtes réflexions entre les manches.

  3. Transition vers l’ÉEG. Ce n’est qu’après que l’enfant a vécu, dans son corps, que la physiologie est entraînable qu’on introduit le neurofeedback ÉEG : « On a entraîné ton corps et ton cœur ; maintenant on va entraîner ton cerveau de la même façon. »

Cette séquence normalise l’usage de capteurs, multiplie les premiers succès et renforce l’auto-efficacité, tout en réduisant le risque d’abandon quand on passe à des séances de neurofeedback plus longues et parfois moins « fun ».

Adapter les protocoles ÉEG aux thèmes de la revue

Les jeux inclus dans cette revue ciblent surtout l’anxiété, la colère/l’agressivité, les comportements externalisés et la régulation émotionnelle au sens large. En langage ÉEG, cela nous oriente naturellement vers quelques familles de protocoles :

  • Suractivation et anxiété. On peut envisager des protocoles qui renforcent l’alpha postérieur ou central (8–12 Hz) et/ou inhibent le haut bêta (22–30 Hz) à des sites comme POz, ou dans des montages incluant les régions pariéto-occipitales. L’objectif est de passer d’un état d’hyper-vigilance à une attention plus stable et détendue.

  • Impulsivité et agressivité. Les protocoles classiques en SMR (12–15 Hz) à C3, C4 ou Cz, avec inhibition concomitante de la thêta (4–7 Hz) ou du haut bêta, peuvent soutenir l’inhibition comportementale et le contrôle moteur. Pour des enfants avec des conduites externalisées marquées, associer cela à des jeux de biofeedback cardiaque qui récompensent une physiologie stable renforce l’inhibition à la fois au niveau cortical et autonome.

  • Tableaux internalisés ou dépressifs. Lorsque c’est pertinent, des protocoles ciblant l’alpha frontal ou l’asymétrie (par exemple, chercher un équilibre entre F3 et F4) peuvent faire écho aux dimensions d’humeur et d’anxiété améliorées par les jeux de biofeedback dans la revue.

La clé reste l’individualisation. Un enfant dont l’anxiété est surtout liée à une hyperréactivité sensorielle et à des troubles du sommeil pourra bénéficier de travaux sur le SMR et l’alpha postérieur, tandis qu’un autre, plus pris dans la rumination, nécessitera des approches frontales différentes. Les jeux centrés sur le cœur fournissent un langage commun de régulation (« corps calme, signal clair ») que l’on peut ensuite décliner au niveau de l’ÉEG.

Combiner les modalités et les devoirs de manière créative

L’une des implications les plus intéressantes de ces résultats, c’est la facilité avec laquelle les jeux de biofeedback peuvent prolonger l’entrainement en dehors du cabinet.

  • Entraînement entre les séances. Les familles peuvent utiliser des jeux basés sur la fréquence cardiaque 10 à 15 minutes, plusieurs fois par semaine, comme devoirs. En séance, on revoit brièvement ce qui s’est passé et on fait le lien avec les métriques ÉEG : « Quand tu mettais ton cœur dans la zone verte à la maison, tu pratiquais aussi le type de stabilité qu’on récompense dans ton cerveau ici. »

  • Structuration de la séance. De courtes séquences de biofeedback cardiaque au début peuvent servir d’« échauffement physiologique », en calmant l’activation et en focalisant l’attention avant l’entrainement neurofeedback. Inversement, on peut terminer par un jeu de biofeedback pour consolider le calme et laisser l’enfant repartir avec une sensation de maîtrise.

  • Intégration à la psychothérapie. Les approches comme la TCC (CBT), l’ACT ou les thérapies centrées sur le trauma peuvent ancrer leur travail cognitif et narratif dans les nouvelles compétences corporelles de l’enfant. Par exemple, après une rechute ou une « crise », revoir les données du jeu et les graphiques de neurofeedback peut devenir un support pour restructurer les pensées : « Regarde comment ton cœur et ton cerveau ont appris à se calmer ici ; cette capacité est toujours là en toi, même si hier a été difficile. »

Protocoles de recherche versus réalité clinique

Les essais de la revue proposaient généralement 5 à 8 séances de jeux de biofeedback. Pour un·e clinicien·ne habitué·e à 20 à 40 séances d’entrainement en neurofeedback, cela devrait être un signal d’alarme : les protocoles de recherche, optimisés pour la faisabilité et le coût, sous-estiment souvent ce qu’on peut obtenir avec un entrainement plus long et plus riche.

En pratique, vous pourriez :

  • faire fonctionner le biofeedback cardiaque et le neurofeedback ÉEG en parallèle sur plusieurs semaines, plutôt que de considérer les jeux comme un simple « bonus » ponctuel ;

  • ajuster les seuils et la difficulté des jeux de manière dynamique, en fonction de l’état clinique du jour et des observations ÉEG, plutôt que de s’en tenir à des paramètres fixes ;

  • impliquer plus activement les parents dans des jeux de co-régulation, en s’inspirant des designs familiaux prometteurs comme CALMS.

Ainsi, lorsqu’on lit « grands effets après huit séances », c’est encourageant, mais c’est aussi une invitation. Si quelques séances dans des conditions de recherche contraintes peuvent déjà faire bouger les lignes, un programme clinique réfléchi et individualisé peut probablement aller beaucoup plus loin.

Une posture à la fois optimiste et critique

Au final, je lis cette revue à la fois comme une validation et un défi. Elle valide ce que beaucoup de clinicien·ne·s ressentent : lorsqu’on rend la psychophysiologie ludique, les enfants apprennent plus vite, restent engagés plus longtemps et transfèrent mieux les compétences dans la vie quotidienne. Elle nous met aussi au défi de :

  • concevoir des outils ludiques culturellement adaptés et accessibles ;

  • documenter nos résultats de manière rigoureuse dans nos propres pratiques ;

  • construire des ponts entre le biofeedback centré sur le cœur et le neurofeedback ÉEG au lieu de les garder dans des silos.

Le cœur est un signal biologique d’une grande honnêteté. Il réagit vite, reflète l’émotion avec intensité et se mesure facilement dans un salon ou une salle de classe. En combinant cela avec la précision du neurofeedback ÉEG et la profondeur de la psychothérapie, on se rapproche d’un modèle véritablement holistique de soins.


Conclusion

Cette revue systématique des jeux numériques basés sur le biofeedback brosse un tableau prudemment optimiste : de courtes interventions ludiques utilisant le biofeedback cardiaque peuvent réduire l’anxiété, la dépression, la colère, l’agressivité et la détresse générale chez les enfants et les adolescent·e·s, avec des effets particulièrement marqués chez ceux et celles qui présentent le plus de symptômes au départ. Ces jeux trouvent leur place à l’hôpital, à l’école, en résidence et en milieu communautaire, souvent comme compléments à des thérapies existantes.

Pour les praticien·ne·s du neurofeedback et de la santé mentale en général, le message n’est pas d’abandonner ce que nous savons déjà efficace, mais de l’enrichir. Les jeux basés sur la fréquence cardiaque peuvent servir de rampes d’accès engageantes, d’outils de devoirs et de canaux d’entrainement parallèles qui renforcent les compétences centrales d’autorégulation que nous cherchons à construire avec l’ÉEG et la psychothérapie.

À une époque où les besoins en santé mentale des jeunes augmentent plus vite que les services traditionnels ne peuvent y répondre, intégrer des formes de biofeedback ludiques et diffusables dans nos boîtes à outils relève moins du luxe que de la nécessité. Offrir aux enfants des manières de « jouer avec leur physiologie » – en alignant cœur, respiration et cerveau – ouvre de nouvelles voies, porteuses d’espoir, vers la croissance, la résilience et le bien-être.


Références

Darabi, M. D., Silber, S. P., Slotkin, R., & Peechatka, A. L. (2025). Biofeedback-based digital games and well-being in childhood: A systematic review. Research on Child and Adolescent Psychopathology. Advance online publication. https://doi.org/10.1007/s10802-025-01387-x

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