- Nov 3, 2025
Quand la méthode échoue : le mythe de l’alpha « incontrôlable »
- Brendan Parsons, Ph.D., BCN
- Neurosciences, Guides pratiques, Neurofeedback
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J’aime discuter des nouvelles découvertes — même les plus critiques — car elles poussent notre domaine à affiner ses méthodes et à aiguiser ses théories. Mais il m’arrive parfois de lire des études dont les conclusions en disent plus sur la faiblesse de la conception expérimentale que sur le neurofeedback lui-même. Trop de chercheurs, souvent bien intentionnés mais peu familiers avec la pratique clinique du neurofeedback, formulent des affirmations générales qui risquent de discréditer des décennies de travaux rigoureux. Et c’est exactement le cas ici.
Une prépublication récente de Maaz et coll. (2025), intitulée « Alpha power increases no matter what during a neurofeedback session », affirme que les participants ne peuvent pas moduler volontairement leur activité alpha, suggérant que le neurofeedback alpha serait inefficace. À première vue, cela semble alarmant — si l’alpha ne peut vraiment pas être contrôlé, qu’en est-il des milliers de praticiens et de clients qui utilisent cet entrainement pour la relaxation, la réduction de l’anxiété ou la créativité ? Mais à y regarder de plus près, les failles de cette étude sont autant conceptuelles que procédurales. Ses résultats, quoique cohérents, ne peuvent être généralisés à la pratique réelle du neurofeedback, car sa conception expérimentale était dès le départ vouée à produire un résultat nul.
Ce billet détaille pourquoi : du recours inapproprié à un retour visuel en condition yeux ouverts, à l’absence de ligne de base pertinente, jusqu’à la violation des standards méthodologiques de consensus. En bref, cet article ne prouve pas que l’alpha est incontrôlable — il prouve que si l’on conçoit mal une étude de neurofeedback, on obtient des résultats dépourvus de sens.
Méthodes
Maaz et coll. (2025) ont appliqué un protocole de neurofeedback à session unique chez des adultes sains. Les participants devaient soit augmenter (Alpha-Up), soit diminuer (Alpha-Down), soit suivre une condition placebo de rétroaction. La tâche consistait à maintenir un cercle dynamique de grande taille à l’écran — un retour purement visuel reflétant l’amplitude alpha pariétale (8–12 Hz) enregistrée par un système OpenBCI à six électrodes centré sur Pz.
Structure des sessions : L’expérience comprenait quatre blocs — un bloc de base, trois blocs d’entrainement et un bloc de transfert — avec des mises à jour du feedback à 1, 5 ou 10 Hz. L’unique instruction donnée était : « rendez le cercle le plus grand possible par la pensée ». Aucune stratégie ni renforcement n’a été enseignée. Les participants ont été testés yeux ouverts, fixant l’écran pendant environ 20 minutes.
Acquisition du signal : L’ÉEG a été enregistré à 250 Hz avec le système OpenBCI Cyton à faible densité, référencé aux lobes d’oreille. Les données ont été filtrées entre 8 et 12 Hz pour l’analyse de l’alpha. Le même protocole visuel a été appliqué à toutes les conditions, y compris au groupe placebo.
Approche analytique : Des modèles hiérarchiques bayésiens ont comparé la puissance alpha entre groupes et blocs. Les auteurs ont combiné les données de leur nouveau groupe Alpha-Down avec celles d’expériences précédentes, compromettant ainsi la comparabilité des échantillons.
Bien que l’analyse statistique soit correcte, les choix méthodologiques — notamment l’usage d’un retour visuel yeux ouverts et la fusion de cohortes distinctes — en limitent sérieusement la portée.
Résultats
Les auteurs rapportent une augmentation significative de la puissance alpha au fil des blocs d’entrainement, indépendamment de la direction (augmentation ou diminution) et du type de feedback (véritable ou placebo). Les bandes théta et SMR ont également légèrement augmenté, tandis que la bande bêta est restée stable. Les auto-évaluations de contrôle ne différaient pas entre les groupes, et les analyses bayésiennes soutenaient l’hypothèse nulle d’absence d’effet spécifique au feedback.
En surface, ces résultats semblent indiquer que la régulation alpha est impossible — que l’alpha « augmente quoi qu’il arrive ». Mais les données reflètent plus probablement des effets de fatigue visuelle et de relâchement attentionnel que l’incapacité à moduler l’alpha. Sans conditions yeux fermés ni mesures de vigilance, ces résultats ne permettent aucune généralisation valide sur l’apprentissage en neurofeedback.
Discussion
Contresens conceptuel sur le neurofeedback alpha
Le postulat de départ trahit une méconnaissance du fonctionnement des rythmes alpha. Ces oscillations sont dépendantes du contexte : elles augmentent lorsque la stimulation visuelle diminue et chutent en cas d’effort cognitif. Chercher à les réduire tout en imposant une fixation visuelle est une contradiction méthodologique. Le protocole employé induit donc logiquement une hausse non spécifique de l’alpha.
Modalité de feedback inappropriée
Depuis les travaux de Kamiya (1968), le feedback auditif est la norme pour l’entrainement alpha, car il limite l’interférence du cortex visuel. En choisissant un retour visuel dynamique en condition yeux ouverts, les auteurs activent directement les régions occipito-pariétales génératrices d’alpha, produisant une illusion d’augmentation globale.
Absence de ligne de base et de calibration
Aucune mesure de base yeux fermés ni fréquence alpha individuelle (FAI) n’a été établie. Sans comparaison, il est impossible de déterminer si les variations observées reflètent le feedback ou une simple adaptation sensorielle. En pratique clinique, l’entrainement commence toujours par une FAI, une ligne de base yeux fermés et un renforcement multi-sessions.
Surexploitation des résultats nuls
L’absence de différences significatives entre conditions ne remet pas en cause le neurofeedback alpha, mais seulement la validité de ce paradigme particulier. L’apprentissage en neurofeedback requiert plusieurs sessions et un encadrement stratégique, pas un essai isolé sans guidance.
Absence d’encadrement et de renforcement
L’instruction « faites grandir le cercle » omet tout soutien d’apprentissage (ancrage attentionnel, relaxation, renforcement progressif). Sans ces éléments, les participants sont livrés à eux-mêmes, ce qui produit du bruit, pas de la science.
Artéfacts d’entrainement visuel
Les fréquences de mise à jour du feedback (1, 5 et 10 Hz) recouvrent les bandes théta et alpha basses, risquant d’entrainer l’activité neuronale de façon exogène, sans rapport avec le contrôle volontaire.
Non-respect des recommandations internationales
La vaste majorité des études scientifiques à ce sujet préconisent un feedback auditif yeux fermés pour les protocoles alpha (il y a quelques exceptions notables renforçânt l'alpha avec des stimuli "fractals"). Maaz et coll. citent ces standards mais ne les appliquent pas, affaiblissant la crédibilité de leur étude.
La perspective de Brendan
Comme je le dis souvent : le neurofeedback ne faillit pas, les mauvaises méthodes, cependant, oui. L’étude de Maaz et coll. illustre parfaitement pourquoi la fidélité protocolaire et le contexte sont essentiels. En pratique clinique, l’entrainement alpha est un dialogue adaptatif entre le cerveau, le corps et l’environnement.
Un protocole valide comprendrait :
Condition : yeux fermés ou lumière tamisée pour minimiser l’interférence occipitale.
Feedback : sons ou musique modulée, sans stimulation visuelle.
Cible : fréquence alpha individuelle (FAI) ou alpha supérieur, plutôt qu’une bande fixe 8–12 Hz.
Protocole : au minimum 6 à 10 sessions, dont 3 à 5 suffisent généralement à démontrer un contrôle volontaire (chez environ 85 % des individus).
Instrumentation : ÉEG haute résolution (au moins 19 canaux qÉEG) pour un contrôle optimal des artéfacts.
Mesures de résultat : modulations ÉEG et effets comportementaux (réduction du stress, flexibilité cognitive, stabilité de l’humeur).
Dans ma pratique clinique, un entrainement alpha bien conduit améliore de façon fiable la relaxation, réduit l’anxiété et favorise le sommeil. Les schémas appris se consolident par neuroplasticité et se généralisent à la vie quotidienne — la marque d’un neurofeedback efficace.
Mais des études comme celle-ci, qui retirent au protocole ses éléments essentiels, risquent d’induire en erreur le public et les décideurs. Lorsque l’on lit que « l’alpha ne peut pas être contrôlé », on oublie trop souvent que ce qui était incontrôlé, c’est surtout la conception expérimentale.
Notre discipline a besoin d’une meilleure collaboration entre chercheurs et praticiens certifiés — non pas moins d’études, mais de meilleures études. Lorsque la recherche s’aligne sur la pratique clinique, la science devient plus robuste, plus cohérente et plus utile.
Conclusion
La prépublication de Maaz et coll. (2025) démontre une chose avec clarté : si l’on conçoit une étude de neurofeedback alpha en violant les principes fondamentaux de la physiologie et de la méthodologie de l’alpha, on obtient des résultats non concluants. Ces observations ne réfutent pas la régulation volontaire de l’alpha — elles mettent en évidence les pièges d’une conception inadéquate.
Le message à retenir n’est pas que le neurofeedback ne fonctionne pas, mais que la conception expérimentale compte. La modalité de feedback, l’état du participant, les lignes de base et la structure d’apprentissage déterminent le succès de l’entrainement. Ce n’est pas le cerveau qui ne peut pas apprendre, mais souvent l’expérience qui ne sait pas enseigner.
Si nous continuons à confondre les erreurs de méthode avec des échecs de paradigme, nous risquons de transformer une bonne science en mauvais titres. En fin de compte, l’alpha n’est pas incontrôlable — c’est la méthodologie qui l’est.
Référence
Maaz, J., Dia, A., Waroquier, L., Paban, V., & Rey, A. (2025). Alpha power increases no matter what during a neurofeedback session [Preprint]. HAL. https://amu.hal.science/hal-05312109v1
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