• Nov 7, 2025

Le travailleur lucide : comment le neurofeedback façonne le sentiment d’accomplissement

*Nouvelles perspectives en neurosciences* Points clés : • Le neurofeedback en temps réel aide les travailleurs du savoir à prendre conscience de leurs efforts cognitifs, sans pour autant redéfinir ce que signifie l’accomplissement pour eux. • Le suivi cérébral continu pendant les tâches peut créer une pression de performance, suggérant que le neurofeedback est plus efficace comme outil de réflexion après coup. • L’étude met en évidence le potentiel du neurofeedback pour renforcer la conscience de soi et la régulation émotionnelle dans les environnements de travail modernes.

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De plus en plus de personnes travaillent aujourd’hui avec leur esprit plutôt qu’avec leurs mains. Pour les travailleurs du savoir — chercheurs, concepteurs, programmeurs ou enseignants — la productivité repose moins sur la quantité produite que sur la concentration, la clarté et le sens. Pourtant, évaluer sa propre performance dans ces rôles cognitivement exigeants demeure une tâche ardue. L’étude de Mitrevska et coll. (2025) explore comment le neurofeedback, une technique de suivi cérébral en temps réel, peut combler cette lacune en offrant un aperçu direct de nos états mentaux pendant le travail.

Le neurofeedback, forme spécialisée du biofeedback, utilise les signaux de l’ÉEG pour refléter en temps réel l’activité cérébrale de l’utilisateur, lui permettant ainsi d’apprendre à réguler le fonctionnement de son cerveau grâce au conditionnement opérant et à la prise de conscience volontaire. Traditionnellement employé dans des contextes cliniques — comme le traitement du TDAH, de l’anxiété ou des troubles du sommeil —, son extension aux environnements professionnels ouvre un nouveau et prometteur champ d’application.

Dans cette étude, les auteurs ont examiné comment le neurofeedback influence la perception du sentiment d’accomplissement, de la concentration et de la performance chez les travailleurs du savoir. L’objectif n’était pas simplement d’augmenter la productivité, mais d’explorer comment une rétroaction cérébrale peut enrichir la compréhension de l’effort mental et du flux cognitif.


Méthodes

L’équipe de recherche a recruté 20 travailleurs du savoir (âgés de 22 à 32 ans), principalement issus du milieu universitaire, pour réaliser deux tâches courantes : lecture et rédaction. Les participants portaient un bandeau ÉEG FocusCalm, un dispositif grand public mesurant l’activité électrique des régions frontales (Fpz, Fp1, Fp2) — zones impliquées dans l’attention et la régulation émotionnelle.

Chaque participant effectuait une tâche avec neurofeedback en direct (où les niveaux de concentration étaient affichés en temps réel) et une autre où la rétroaction n’était présentée qu’après la tâche. Le système FocusCalm produisait un score de concentration (de 0 à 100), reflétant un continuum entre un état « actif et chargé » et un état « calme et concentré ».

Les perceptions des participants ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire détaillé abordant :

  • leur définition du sentiment d’accomplissement ;

  • la difficulté perçue des tâches, la concentration et la performance ;

  • leurs réflexions sur l’expérience de neurofeedback.

L’ordre des tâches a été contrebalancé pour éviter tout biais. Les données qualitatives ont été analysées par codage inductif, tandis que les mesures quantitatives ont été comparées à l’aide des tests de Shapiro–Wilk et de Mann–Whitney U.


Résultats

Les participants définissaient le sentiment d’accomplissement principalement en termes de réalisation d’objectifs et de qualité du résultat, plutôt que par des indicateurs physiologiques ou cognitifs. Cependant, les données de neurofeedback ont suscité une prise de conscience accrue de l’effort mental. Beaucoup ont trouvé cette rétroaction valorisante — confirmant leurs moments de concentration et renforçant leur confiance en leur engagement cognitif —, tandis que d’autres doutaient de la précision des mesures.

De manière intéressante, la rétroaction en direct pendant la tâche a souvent accru l’anxiété de performance. Les participants ont rapporté se sentir « observés » ou « jugés par les chiffres », ce qui réduisait paradoxalement leur concentration. En revanche, lorsque la rétroaction était présentée après la tâche, elle favorisait une réflexion constructive sur les schémas cognitifs sans interférer avec la performance.

L’analyse statistique n’a révélé aucun changement significatif dans la définition de l’accomplissement personnel, ce qui suggère que le neurofeedback favorise la réflexion plutôt que la redéfinition. Néanmoins, il a enrichi la métacognition — la capacité à réfléchir sur sa propre pensée — et encouragé une vision plus nuancée de l’effort mental et de l’attention.


Discussion

Cette étude illustre un paradigme émergent des neurosciences du travail : l’intégration du neurofeedback comme miroir réflexif de la performance mentale. Bien que la rétroaction n’ait pas modifié le sentiment fondamental d’accomplissement, elle a mis en lumière comment la concentration est atteinte, soulignant l’interaction entre effort, attention et état émotionnel.

En pratique, le neurofeedback en direct n’est pas toujours bénéfique dans les environnements cognitivement exigeants. Lorsque la performance cérébrale est mesurée en temps réel, l’individu peut devenir trop conscient de lui-même, provoquant une interférence cognitive — l’équivalent mental d’un faux pas. La rétroaction après coup, en revanche, se transforme en moment d’apprentissage, permettant d’identifier les schémas de concentration et de fatigue, et d’améliorer la performance future sans ajouter de pression.

Les implications dépassent largement la simple productivité. Chez les personnes confrontées à l’épuisement professionnel, à la fatigue créative ou aux troubles de l’attention, le neurofeedback pourrait devenir un compagnon de pleine conscience, transformant les processus mentaux invisibles en indices tangibles d’autorégulation. L’étude souligne aussi l’importance de la transparence et de la lisibilité des données : pour être psychologiquement utile, l’utilisateur doit comprendre et faire confiance aux informations reflétées.


La perspective de Brendan

Ce qui m’a frappé en lisant cette étude, ce n’est ni le dispositif (limité), ni les données (pas irréprochables), mais la fine psychologie du fait d’être observé par son propre cerveau. Le neurofeedback nous offre un miroir — mais si ce miroir parle trop fort pendant la performance, il devient une distraction plutôt qu’un guide.

En pratique clinique, nous entraînons souvent la thêta frontale médiane (associée à l’attention soutenue) ou le rythme sensorimoteur – RSM (lié à la concentration calme et au contrôle comportemental). Ces entrainements sont hautement structurés et guidés par l’expertise du praticien. Ce que cette étude démontre, c’est que lorsque le neurofeedback entre dans le monde réel — celui du travail quotidien —, son rythme doit être repensé. Peut-être devrait-il fonctionner davantage comme une pratique réflexive quotidienne que comme un flux constant de métriques.

Dans les contextes appliqués, on pourrait concevoir de brèves séances en fin de journée, utilisant des protocoles ÉEG tels que l’augmentation de l’alpha (pour la détente et la conscience réflexive) ou l’entrainement du RSM (pour la stabilité attentionnelle), plutôt qu’un suivi continu. L’objectif serait d’encourager la conscience autant que le contrôle.

Un autre point essentiel est la variabilité individuelle : les participants de l’étude interprétaient leurs scores différemment, tout comme les clients en clinique varient dans leur relation à leurs données cérébrales. Cela nous rappelle que l’individualisation des protocoles — en adaptant les sites électrodes, les bandes de fréquences et les modalités de rétroaction — est essentielle à un entrainement efficace. Un tableau de bord universel ne remplacera jamais la finesse d’un accompagnement humain.

Enfin, cette recherche nous invite à imaginer un monde où la concentration n’est pas seulement mesurée, mais comprise. Pour les cliniciens comme pour les innovateurs en entreprise, le défi consiste à concevoir un neurofeedback perçu non pas comme une évaluation, mais comme un accompagnement discret vers la clarté et l’accomplissement.


Conclusion

Le neurofeedback ne redéfinit peut-être pas le sentiment de réussite, mais il éclaire la structure intérieure de nos accomplissements. Dans l’économie du savoir — où la concentration, la créativité et la réflexion sont les matières premières de la productivité — apprendre à écouter les signaux subtils de notre cerveau pourrait transformer la manière dont nous mesurons le progrès.

Utilisé avec discernement, le neurofeedback ne montre pas seulement quand nous sommes concentrés ; il nous aide à comprendre comment nous le devenons — et comment retrouver cet état de flux.


Référence

Mitrevska, T., Kobiella, C., Feckl, J., Sakel, S., Butz, A., & Schneegass, C. (2025). Investigating the effects of neurofeedback on knowledge workers’ perceptions of self-accomplishment, focus and task performance. OZCHI ’25 : 37e conférence australienne sur l’interaction homme-machine, Sydney, Australie. https://doi.org/10.1145/3764687.3764696

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