- Nov 14, 2025
Science, silence et confiance du public
- Brendan Parsons, Ph.D., BCN
- Neurosciences
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Le commentaire publié dans Nature Neuroscience, « Science must break its silence to rebuild public trust » (Miller et al., 2025), propose une analyse percutante du fossé grandissant entre les institutions scientifiques et le public qu’elles servent. Les auteurs avancent que l’érosion de la confiance ne relève pas uniquement de phénomènes sociopolitiques, mais découle aussi d’une communication insuffisante, d’un engagement limité et d’une culture scientifique qui a historiquement sous‑valorisé la prise de parole vers le public. Bien que les avancées scientifiques aient transformé la santé mondiale et la vie quotidienne, les auteurs soulignent que les scientifiques n’ont pas toujours maintenu un dialogue significatif avec les communautés qui bénéficient en fin de compte de leurs travaux.
Les professionnels du biofeedback et du neurofeedback se sentiront particulièrement concernés. Ces deux approches reposent sur des explications claires, une communication collaborative et une compréhension publique des mécanismes scientifiques, en particulier auprès de clients confrontés à l’incertitude en santé mentale, en performance et en bien‑être. Le biofeedback fournit des informations en temps réel sur des processus physiologiques, tels que la fréquence cardiaque ou la respiration, tandis que le neurofeedback se concentre spécifiquement sur l’activité cérébrale mesurée via l’ÉEG (EEG, electroencephalography — électroencéphalographie). Ces approches dépendent de la confiance : confiance dans la science, dans le clinicien et dans les méthodes qui guident le changement.
Au‑delà de leur valeur clinique, ces techniques reflètent des thèmes plus larges en neurosciences : l’importance de l’apprentissage, de l’autorégulation et de la capacité d’adaptation du cerveau. Comme le souligne le commentaire, le scepticisme public émerge souvent non pas d’un désaccord scientifique, mais de récits nourris par la polarisation politique, une communication peu accessible ou un manque de transparence. Dans des domaines comme le neurofeedback, où la compréhension publique varie fortement et où les idées reçues persistent, la relation entre science et société devient d’autant plus cruciale.
Cette introduction prépare une exploration plus approfondie de la manière dont les auteurs diagnostiquent le déclin de la confiance, des facteurs historiques et culturels qui le façonnent et de la voie à suivre qu’ils proposent. En reliant ces idées aux réalités pratiques des neurosciences appliquées, cette synthèse met en lumière le rôle essentiel de la communication pour que les approches fondées sur les preuves restent accessibles, crédibles et bénéfiques aux communautés qu’elles visent à soutenir.
Observations clés
Premièrement, les auteurs identifient une fracture persistante et grandissante entre la communauté scientifique et le grand public. Malgré des réalisations extraordinaires, des antibiotiques et des transplantations d’organes au séquençage du génome et aux interfaces cerveau–ordinateur (BCI, brain–computer interfaces), le commentaire soutient que le paysage culturel et politique a évolué d’une manière qui fragilise la confiance. Le seul progrès scientifique ne suffit plus à garantir la confiance.
Deuxièmement, les auteurs montrent comment les institutions scientifiques ont, involontairement, contribué à cette érosion. En se retirant de l’engagement public, en mettant l’accent sur des indicateurs internes (publications, subventions) et en ne contrant pas efficacement la désinformation, la communauté scientifique a laissé un vide rempli par des récits polarisés. Le commentaire suggère que cette absence de leadership scientifique visible a permis à certains acteurs idéologiques de présenter la science comme élitiste, politiquement biaisée ou déconnectée des préoccupations quotidiennes.
Troisièmement, les auteurs insistent sur le fait que l’isolement auto‑imposé au sein du monde académique réduit la capacité de la science à s’adapter aux besoins du public. Les scientifiques supposent souvent que l’expertise suffit à justifier la confiance et que la présentation d’informations exactes convaincra inévitablement. Or, le commentaire souligne que la confiance est relationnelle : elle se construit par le dialogue, la réciprocité et la transparence plutôt que par une diffusion unilatérale.
Enfin, les auteurs estiment que reconstruire la confiance exigera un changement culturel dans la manière dont les scientifiques conçoivent leurs responsabilités. La communication, l’advocacy et l’engagement public ne sont pas des distractions, mais des prolongements essentiels de la rigueur scientifique et de la reproductibilité. Le commentaire conclut que les scientifiques doivent dépasser les frontières traditionnelles : se connecter aux communautés, écouter des perspectives diverses et participer directement au débat public, afin de rebâtir une confiance durable et significative.
Discussion
Ce commentaire apporte plusieurs contributions importantes à la compréhension de l’érosion de la confiance publique envers la science, particulièrement dans les contextes culturels et institutionnels des États‑Unis. Il met en évidence la manière dont les lacunes de communication, la polarisation politique et le désengagement du public s’entrecroisent avec l’approche historiquement limitée d’interaction publique au sein de la communauté scientifique. Les auteurs soutiennent que, tandis que les avancées scientifiques se sont accélérées, le socle relationnel entre la science et la société s’est affaibli.
Un point central est la reconnaissance du rôle de la culture scientifique elle‑même. L’éthos durable d’humilité et d’excellence silencieuse, valorisé en interne, a conduit à une communication externe limitée. Si ces normes favorisent la rigueur, elles peuvent aussi renforcer l’idée que les scientifiques sont lointains, opaques ou élitistes. Ce décalage est amplifié par le paysage médiatique contemporain, où la désinformation se propage rapidement et où les récits émotionnels éclipsent souvent la nuance scientifique.
Un autre thème important est le manque d’acceptation ouverte de l’incertitude. En ne communiquant pas la nature itérative et auto‑corrective de la science, les scientifiques peuvent involontairement renforcer l’idée que les conclusions scientifiques sont rigides ou dogmatiques. Lorsque des révisions surviennent, comme c’est naturellement le cas, cela peut alimenter le scepticisme ou la perception d’incohérence des experts.
Le commentaire soulève également des préoccupations quant aux incitatifs professionnels qui priorisent publications et financements au détriment de l’engagement public. Ces pressions structurelles compliquent l’investissement soutenu dans la vulgarisation, malgré son importance. Parallèlement, des campagnes anti‑science, souvent bien financées et stratégiquement organisées, exploitent ces failles pour influencer l’opinion.
En définitive, les auteurs plaident pour un changement de paradigme : la science doit se réengager activement avec la société par un dialogue ouvert, l’humilité et la réciprocité. La confiance ne sera pas restaurée par l’information seule, mais par la connexion et le sens partagé. Ces idées ont des implications majeures pour les neurosciences appliquées, où la relation thérapeutique, l’éducation et la communication sont au cœur de l’efficacité des soins.
La perspective de Brendan
Confiance du public et neurofeedback
Un thème récurrent en neurosciences comme en clinique : la confiance n’est jamais accordée d’emblée ; elle se gagne par la présence, la clarté et la constance. Le neurofeedback se situe à l’intersection de neurosciences de pointe et d’un travail thérapeutique profondément personnel. Pour beaucoup de personnes qui le découvrent, la confiance dans la méthode est indissociable de la confiance dans le praticien. Lorsque la confiance du public envers la science s’affaiblit, comme le décrivent Miller et ses collègues, les répercussions touchent tous les champs des neurosciences appliquées. Les gens savent moins à qui se fier, ce qui constitue une preuve, ou comment distinguer un clinicien compétent d’un discours persuasif.
Dans ma pratique, les conversations sur le neurofeedback commencent souvent par un mélange de curiosité et de prudence. Les clients arrivent fréquemment avec des idées reçues nourries par des médias sensationnalistes, des promesses commerciales excessives ou des récits simplifiés qui annoncent des résultats sans contexte. Dans ce paysage, reconstruire la confiance suppose de prendre le temps d’expliquer les mécanismes, non pas de manière abstraite et académique, mais à travers des exemples parlants et des échanges transparents. La confiance grandit quand les clients se sentent informés, non « vendus », et lorsqu’ils constatent qu’on peut être à la fois fidèle aux preuves et profondément humain.
Défis de communication en neurosciences appliquées
Une communication efficace n’est pas un « plus » en clinique ; elle fait partie de l’intervention. Le neurofeedback repose sur l’apprentissage, la conscience de soi et l’engagement dans la durée. Si les clients ne comprennent pas ce qu’ils apprennent ou ce qu’on attend d’eux, les résultats s’en ressentent. Comme le souligne le commentaire, la communauté scientifique bascule parfois vers le silence ou vers des explications trop techniques, et l’on observe la même tension en clinique.
Les neurosciences appliquées exigent de traduire des processus neuraux complexes en un langage intuitif. Il ne s’agit pas de sur‑simplifier, mais de contextualiser. Par exemple, au lieu de décrire l’entrainement du rythme sensorimoteur uniquement en termes de modulation oscillatoire 12–15 Hz, on relie l’explication à sa signification fonctionnelle : stabilité, inhibition comportementale, capacité à rester dans l’instant. Cette manière d’expliquer responsabilise les clients, soutient l’engagement et rejoint l’appel plus large à une science claire et réactive.
Idées reçues sur le neurofeedback et littératie scientifique
Le neurofeedback est sans doute l’un des outils les plus mal compris en santé mentale et en entrainement à la performance. Certains s’attendent à un effet « médicament »—rapide et automatique—tandis que d’autres craignent une altération « artificielle » du cerveau. Ces croyances ont une racine commune : une littératie scientifique limitée, conjuguée à un manque d’explications claires et accessibles.
L’avertissement du commentaire à propos du coût du silence résonne fortement ici. Sans prises de parole claires et régulières des cliniciens, la désinformation remplit le vide. Expliquer que le neurofeedback s’appuie sur l’apprentissage, conditionnement opérant, autorégulation volontaire et neuroplasticité, permet de démystifier le processus et de ramener la discussion vers la capacité naturelle du cerveau à s’adapter.
Lorsque les clients comprennent que le neurofeedback n’« installe » pas de nouveaux schémas mais renforce ceux qui existent déjà, la résistance diminue. Quand ils apprennent que l’ÉEG décrit des dynamiques plutôt que de « lire dans les pensées », l’anxiété baisse. Élever la littératie scientifique dans de petites interactions relationnelles contrebalance les défis sociétaux mis en évidence par les auteurs.
Relier recherche et communauté
L’un des arguments les plus forts du commentaire est que la communication doit devenir une responsabilité partagée entre toutes les disciplines scientifiques. En neurofeedback, cette responsabilité est d’autant plus marquée que la science est encore en évolution. L’écart entre ce que la recherche peut affirmer avec confiance et ce que le public souhaite savoir est souvent large.
Pour le combler, les cliniciens peuvent jouer le rôle de traducteurs entre la recherche et l’expérience vécue. Cela implique de reconnaitre les incertitudes (« Nous savons que cela aide beaucoup de personnes, mais le calendrier varie ») et de clarifier la portée réelle des résultats (« Ce protocole a amélioré l’attention sur des tests standardisés, ce qui se traduit souvent par un meilleur fonctionnement quotidien, sans garantie d’universalité »). L’honnêteté construit la confiance, et la confiance renforce les résultats.
Responsabilité éthique en biofeedback et neurofeedback
Le commentaire rappelle combien le silence peut laisser la place à des messages trompeurs ou manipulateurs. Cette idée est centrale dans l’éthique du neurofeedback. En l’absence d’une régulation uniforme, les praticiens doivent maintenir des standards élevés—exactitude, humilité, transparence.
Parmi les responsabilités éthiques :
éviter les allégations exagérées
expliquer clairement les limites
ancrer les pratiques dans les neurosciences établies
offrir un soin individualisé et informé par les preuves
Quand l’éthique guide la communication, la confiance suit naturellement.
La dimension opérateur-dépendant du neurofeedback
La recherche montre de plus en plus ce que les cliniciens observent depuis des décennies : le neurofeedback est opérateur‑dépendant. La critique culturelle formulée par le commentaire, et en particulier la sous‑valorisation de la communication interpersonnelle, rejoint directement ce défi. Le meilleur matériel ne compense pas des explications faibles, une attunement insuffisante ou un manque de stratégie individualisée.
Opérateur‑dépendant ne signifie ni subjectif ni peu fiable. Cela signifie que le clinicien façonne l’environnement d’apprentissage, par le choix des indices, le tempo du renforcement, la gestion d’état et le contexte émotionnel. En ce sens, le neurofeedback ne diffère pas de la psychothérapie ou de la physiothérapie : la technique compte, mais la relation et l’habileté l’amplifient.
Équilibrer humilité et assurance en clinique
Miller et ses collègues appellent les scientifiques à embrasser l’humilité, reconnaitre l’incertitude tout en communiquant avec assurance. En clinique, nous cherchons le même équilibre. Les clients ont besoin de courage de notre part, sans arrogance ; de clarté, sans absolutisme.
L’humilité ressemble à :
« Voici ce que nous savons à ce stade. »
« Votre cerveau apprend, et l’apprentissage a son propre rythme. »
« Ajustons le protocole selon votre expérience. »
L’assurance ressemble à :
« Ce protocole est approprié pour vos symptômes et votre profil. »
« Vos progrès sont cohérents avec ce que nous attendons pour ce type d’entrainement. »
« Les mécanismes sous‑jacents sont bien documentés. »
Tenir les deux à la fois crée sécurité, honnêteté et stabilité—des conditions essentielles à l’apprentissage thérapeutique.
L’intégration interdisciplinaire comme stratégie de communication
Le commentaire souligne la nécessité de communiquer à travers les clivages. En neurosciences cliniques, la collaboration interdisciplinaire est l’une des meilleures façons d’offrir de la cohérence aux clients et aux collègues. Le neurofeedback s’intègre naturellement à la psychothérapie, l’orthophonie, l’ergothérapie, la psychiatrie, la physiothérapie et les interventions éducatives.
Quand la communication circule entre disciplines, les clients bénéficient d’une compréhension unifiée de leur prise en charge. Cela renforce la confiance et incarne l’esprit de collaboration que le commentaire appelle de ses vœux à l’échelle sociétale.
Quelle est la place du neurofeedback parmi la psychothérapie et la pharmacothérapie ?
Restez à l’écoute… J’ai un article sous presse qui, je l’espère, aidera à éclairer cette question. Le neurofeedback ne remplace ni la psychothérapie ni la médication et n’est pas un simple « add‑on ». Il occupe une place complémentaire et distincte. Il agit directement sur le fonctionnement cérébral, via des mécanismes d’apprentissage, tandis que la psychothérapie cible la cognition, le comportement et la compréhension émotionnelle, et que la pharmacothérapie module l’activité neurochimique.
Comprendre ces distinctions aide les clients à prendre des décisions informées et consolide la confiance dans une approche multimodale. Comme le soutient le commentaire, des explications claires produisent des citoyens informés, et, dans notre cas, des clients informés.
Conclusion
Le commentaire de Nature Neuroscience met en évidence une réalité cruciale : le progrès scientifique ne peut s’épanouir sans la confiance du public. Dans des champs comme le biofeedback et le neurofeedback, où la compréhension et l’engagement sont au cœur de la réussite thérapeutique, le message est particulièrement urgent. Reconstruire la confiance exige plus qu’une information exacte : cela demande transparence, humilité, dialogue, et la volonté de rejoindre les personnes là où elles se trouvent.
En intégrant ces principes dans la pratique, par des explications claires, une communication éthique, une collaboration interdisciplinaire et des protocoles de neurofeedback individualisés, nous contribuons non seulement à de meilleurs résultats, mais aussi à une culture scientifique plus saine. Le pont entre science et société se construit conversation par conversation, et chaque interaction en neurosciences cliniques est une occasion de renforcer ce lien.
Reconstruire la confiance n’est pas seulement une tâche scientifique ; c’est une tâche humaine. Lorsque la science parle ouvertement, écoute profondément et s’engage sincèrement, la confiance cesse d’être un obstacle pour devenir un passage, un passage qui renforce l’impact de notre travail et le bien‑être de celles et ceux que nous accompagnons.
Références
Miller, C. T., Basso, M. A., Batista, A. P., Gothard, K. M., Parker, K. J., Tsao, D. Y., Williams, Z. M., & Platt, M. L. (2025). Science must break its silence to rebuild public trust. Nature Neuroscience, 28, 2169–2170. https://doi.org/10.1038/s41593-025-02092-0
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